, Nombreux sont les cinéastes, de John Ford à Joe Dante, à s'être emparés de l'Americana pour la détraquer-et in fine la rétablir : le genre est éminemment conservateur-en filmant une famille ou un groupe réduit tourmentés par un événement perturbateur agressant d'abord leur microcosme avant de représenter un risque pour le monde 14. (La tendance réactionnaire de l'Americana est régulièrement contrecarrée par Nichols : ainsi, la construction monomaniaque de l'abri antitornades parodie-t-elle, par exemple, la vocation idéologique structurelle du genre, celle de la nation américaine, revue désormais en mode parano et cryptique.) Placer, comme le fait Nichols, la question de la fin du monde dans ce registre, celui de ma famille, de mes amis, de ma mère, etc., revient à émonder la fin du monde. D'ailleurs, qu'est-ce que le monde au-delà de ma sphère extensible d'appartenance ? Est-il si important que le monde soit détruit dans la mesure où il ne m'est rien si je n'y suis pas ? L'expérience du monde est toujours centrifuge. C'est ce que comprend intuitivement n'importe quel être humain pris dans la fin du monde : voilà pourquoi il cherche désespérément à survivre et à protéger les siens. On fait dire beaucoup à l'instinct de conservation, mais ici l'enjeu est autre : tant que je vis, le monde ne disparaît pas, de la nature et composée de personnages ordinaires aux métiers modestes, dans un contexte estival (le soleil brille) et sous la forme d'une chronique vantant la qualité du bon air américain et le « pursuit of hapiness » dans les choses simples et l'esprit émulateur de la Constitution

, La fin du monde se présente donc comme l'occasion de revenir à l'homme, dans l'homme. Que voyons-nous de la nature en dehors de ce qu'en voit ou hallucine le protagoniste ? Un bout de pré sur un des côtés de telle ou telle image, un bosquet au fond d'un plan d'ensemble, ou alors, plus intentionnellement, des plans de coupe sur des branches d'arbres ballottées par le vent : mais ils annoncent qu'on est passé dans les visions ou les cauchemars de Curtis? La nature de Take Shelter est toujours médiatisée par l'esprit, La disparition du monde ne peut avoir lieu que pour un être humain, non pour le monde

, Michael Shannon prête son regard vide, ses yeux globuleux, ses traits tendus et minéraux, sa bouche crispée, sa voix courte-comme l'impuissance à élaborer des images, où affleure l'imagination effondrée par l'expérience du sublime, où l'explosion est d'abord celle de l'imagination avant d'être celle de la nature

, Le cinéaste précise, dans un entretien pour le bonus DVD de l'édition américaine (Sony Pictures Classics, 2012), intitulé « Behind the Scenes of Take Shelter », que l'idée du film lui est venue en, 2008.