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Chapitre D'ouvrage Année : 2014

La trajectoire, une autre approche des effets de la rénovation

Christine Lelévrier

Résumé

En 1970, deux sociologues français analysaient les rapports de cohabitation dans un « grand ensemble » de la région parisienne, à l'aune des trajectoires résidentielles des groupes sociaux en présence (Chamboredon, Lemaire, 1970). Cette approche dynamique affinait l'analyse des différenciations internes aux classes sociales et montrait comment des filières d'attribution rassemblaient de manière contrainte des populations hétérogènes, dont certaines n'étaient que de passage tandis que pour d'autres, l'arrivée dans ce grand ensemble marquait l'aboutissement de leur trajectoire. Mais elle faisait surtout de la diversité des trajectoires, et en particulier des possibilités de départ, un facteur déterminant des « attitudes à l'égard du grand ensemble » et des rapports de voisinage. Au fur et à mesure de la paupérisation de ces grands ensembles et en dehors de quelques travaux menés dans les années 1990 (Peraldi, Foret, 1992 ; Vieillard-Baron, 1998), l'analyse des trajectoires propres à ce type d'ensemble résidentiel est devenue de plus en plus marginale. Avec le départ des classes moyennes et la montée de la précarité de l'emploi paupérisant ces grands ensembles, les recherches se sont plutôt déplacées vers la concentration de pauvreté, révélatrice des transformations de la classe ouvrière (Beaud, Pialoux, 2003) ou productrice d'effets de quartier négatifs sur les trajectoires sociales des populations et la réputation des lieux (Goux et Maurin, 2007 ; Sari, 2012). Trente ans après leur construction, les programmes de démolition-reconstruction de ces « grands ensembles » reposent à leur manière la question du peuplement et des trajectoires résidentielles et redonnent tout son intérêt à ce type d'approche. Tout d'abord, les politiques publiques de régénération ou de rénovation, mises en place en France mais également dans d'autres pays pour réduire la concentration de pauvreté, ont des effets directs et importants sur la mobilité des ménages. Ces politiques prévoient en effet de démolir des tours et des barres de logements sociaux pour les remplacer par de petites résidences, pour partie privées, censées favoriser un peuplement plus mixte, devant lui-même entraîner une sorte de cercle vertueux, lié notamment à l'arrivée de classes moyennes (Bolt et al., 2010 ; Donzelot, 2012 ; Kleinhans, 2004). Ensuite, l'action publique se donne pour objectif d'améliorer « " la qualité des parcours résidentiels " 1 , proposant même dans des chartes locales de faire du relogement du locataire « un moment privilégié dans son parcours résidentiel pour l'aider à préciser ses choix et vivre ce relogement comme une " seconde chance " » 2. Enfin, ces transformations du cadre résidentiel recomposent aussi les conditions de cohabitation et les configurations de voisinage. Au regard de ces logiques de l'action, les habitants de ces quartiers pourraient voir leur trajectoire résidentielle et sociale changer au moins de trois manières : en déménageant sur place mais en bénéficiant ou pas des « opportunités résidentielles » de la rénovation (nouveaux logements, relocalisations…) ; en étant relogés ailleurs mais dans des environnements sociaux plus ou moins mixtes ; en bénéficiant au travers d'interactions sociales, de la proximité spatiale de nouvelles classes moyennes, porteuses de normes et de valeurs censées être plus intégratrices ou de l'amélioration du cadre de vie. Pourtant, la question de savoir si ces changements vont bénéficier aux populations locales, et en particulier aux plus pauvres d'entre eux, reste posée par les chercheurs (Tunstall, Fenton, 2006). À l'heure où les bilans du Programme National de Rénovation Urbaine mis en place en 2003 en France mettent surtout l'accent sur la difficulté, voire l'impossibilité de réaliser la mixité sociale 1 Extrait du règlement général de l'ANRU, 2007. 2 Extrait de la charte de relogement d'un site de Seine-et-Marne in Lelévrier C., Noyé C., 2007. 2 (CES ANRU, 2011 ; Cour des comptes, 2012), l'analyse en termes de trajectoires, assez peu développée dans la recherche, permet de décaler le regard sur les effets de l'action, et de manière plus générale sur ces quartiers et les rapports que ces « mobiles », ceux qui arrivent, ceux qui partent et ceux qui sont déplacés, entretiennent avec leur lieu de résidence. Quels bénéfices, avantages ou désavantages les destinataires de ces politiques vont-ils en retirer ? Comment analyser les effets de cette intervention publique sur les trajectoires sociales et résidentielles des populations concernées, qu'elles soient contraintes par les démolitions ou plus choisies dans le cadre des nouveaux logements privés, et pas seulement sur la diversité de l'habitat ou sur la composition sociale des quartiers rénovés ? Cet article se propose d'apporter quelques éclairages sur ces questions en analysant les mobilités des populations relogées et leur vécu des changements résidentiels. Cette approche compréhensive replace le relogement dans la temporalité longue des étapes successives de la trajectoire (Authier, 2010 ; Grafmeyer, 1994) tout en reprenant l'hypothèse que la diversité des trajectoires résidentielles détermine les attitudes et perceptions différentes de ce relogement. Nous nous appuierons principalement sur les résultats de recherches empiriques menées dans sept quartiers franciliens et plus particulièrement sur cent vingt entretiens qualitatifs menés auprès de ménages relogés. Nous reviendrons d'abord sur l'approche en termes de trajectoires tout en précisant quelques éléments méthodologiques. Nous exposerons ensuite les résultats de recherche en deux temps : la présentation des trois types de trajectoires résidentielles identifiées dans ce travail et la manière dont elles peuvent constituer un cadre d'analyse pour comprendre le sens de ce changement pour les ménages et les effets de l'action.
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  • HAL Id : hal-01198709 , version 1

Citer

Christine Lelévrier. La trajectoire, une autre approche des effets de la rénovation. Fol Sylvie; Miot Yohan; Vignal Cécile. Mobilités résidentielles, territoires et politiques publiques, Presses Universitaires du Septentrion, pp.119-138, 2014. ⟨hal-01198709⟩
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